Autour du Pas du Gué de la Reine : sous les tentes

[Sous la tente de Guillaume, après son combat]

Deux hommes soulevèrent un pan de la tente de Guillaume. C'était un vieux moine accompagné d'un homme d'armes. Le moine rabattit le capuchon de sa cuculle sur ses épaules, salua Guillaume - qu'il ne connaissait pas, aussi fut-il un peu surprit par sa taille. Il se signa. Puis, il lui dit de sa voix chevrotante :

- « Alors jeune homme, où souffrez-vous ? »

- Si je réponds partout, ça compte?

Sur qu'il l'avait pas manqué, le nouveau seigneur. Et quand on a la douzaine à peine accomplie, on ignore encore la nuance. Même s'il n'avait réellement été touché qu'à deux endroits, il avait l'impression que tout son corps lui jouait Guillaume de Machaut en instrumental, avec les os en instrument et les chairs en guise de tambour.

Tandis que l'écuyer s'échinait à lui ôter le bassinet, le Nain enchaîna: "Euh, on procède comment? J'enlève tout et vous voyez où il faut couper? Notez, vous pourrez toujours vous occuper de l'enterrement, au cas où ça se passerait pas sans accroc". Nerveux, le gosse? Si peu! Et essayer l'humour pour pas paniquer, tellement peu son genre...

- « Partout...»

Aux allusions de Guillaume quant à une éventuelle amputation, le moine répondit par un sourire... amusé. Il voulut le rassurer :

- « Nous n'en sommes pas encore là ! »

Il vit le pourpoint sanguinolent de Guillaume au niveau de son flanc gauche et poursuivit :

- « Mais ôtez déjà votre pourpoint que j'examine cette blessure au flanc. »

Lorsque l'écuyer eût ôté le pourpoint de Guillaume, le moine put diagnostiquer la gravité de la blessure.

Il avait dû serrer les dents quand on avait commencé à le déshabiller. Parce que le tissu avait eu la bonne idée de venir se coller à la plaie béante. Qui du coup avait pas voulu laisser partir son nouvel ami si facilement. Foutoir de Deos!!! Ca faisait pas du bien. Du tout. Et quand il se retrouvât torse nu, sa respiration s'accéléra. Délivrés de leur carcan, les poumons pouvaient à nouveau se remplir à plein. Et évacuer une partie de la panique du gosse. Mais une partie seulement.

Et malgré les paroles plein de réconfort du religieux, le bâtard ne pouvait s'empêcher de lui jeter des regards. Et d'enfin poser la question: "Alors mon père, vous y voyez quelque chose? Vous pensez que je devrais boire quelque alcool?"

Né en Champagne et élevé en Oc, vous croyiez pas qu'il allait éviter la case poivrot non plus?

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'Alea jacta est' :

Résultat :

... L'entaille, bien que vilaine, n'était pas profonde.

- « Je ne vois rien d'alarmant, et de l'alcool, vous en aurez, point par la bouche, mais par la plaie. »

Le moine avait été formé à l'école dite des chirurgiens "antiseptiques", par un élève de Guy de Chauliac, célèbre chirurgien, maître en médecine de l'Université de Montpellier au siècle précédent. Et leur choix de pansements était réputé excellent.

Le vieil homme farfouilla dans son cabas qui pendait à son côté, sortit un creuset, et plusieurs morceaux de tissu et toutes sortes de fioles, emballées dans du tissu grossier pour les protéger. Il posa le tout sur la surface plane la plus proche, une malle de voyage. Puis il dit :

- « Je vais d'abord vérifier qu'aucune matière ne soit restée dans la plaie. Cela risque d'être un peu douloureux... »
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HRP : l'intervention qui suit se voudra conforme à la procédure suivie pour les plaies de la hanche par Guy de CHAULIAC dans sa Grande chirurgie, ouvrage composé en 1363.

- Bon, et bien allez-y. Mais on m'ôtera pas de l'esprit que ça se passerait mieux avec un verre à la main. 'Fin, c'est vous qui savez.

Et après avoir bien fait comprendre son enfantine réprobation, le bâtard se penche sur le côté, afin de laisser la plaie sentr'ouvrir. Et surtout pour ne pas que le moine soit obligé de n'écarter qu'à la seule force de ses instruments. On a beau tenter de jouer au dur, s'il y a moyen d'éviter les douleurs inutiles, on ne va pas s'en priver.

Puis, enfin, un éclair de génie.

"Patientez juste un instant". A l'écuyer: "Donne moi ce morceau de tissu, là".

Le temps de le mordre à pleines dents, et de faire signe à celui qui s'apprêtait à le fouiller comme on explore une besace, et on pouvait y aller. C'est parti pour la gloire.

Le moine disposa à portée de main ses cinq fioles contenant chacune un onguent différent : le Basilicon comme suppuratif, celui dit des apôtres pour nettoyer, un blanc pour consolider, un doré comme incarnatif et le Dialthaera pour adoucir. Puis il déroula un morceau de tissu, dévoilant six ferrements ou instruments chirurgicaux : ciseaux, rasoirs et lancettes pour trancher, pincettes pour extraire, éprouvette pour sonder, aiguilles pour coudre [1].

Avant toute intervention, il convenait de soulager quelque peu la douleur du blessé avec un sédatif. Aussi, appliqua-t-il tout aussi délicatement le Basilicon [2] localement sur les bords de la plaie. La chaleur de l'onguent ne tarderait pas à se faire sentir, masquant la douleur autant que son pouvoir sédatif le lui conférait tout en faisant suppurer la plaie.

Puis il examina à nouveau la blessure avec les pincettes, déplaçant délicatement telle ou telle partie de la chair. Si la plaie charnue était pénétrante, elle n'allait point au-delà du muscle du flanc et aucun corps étranger n'était resté dans la plaie. Cela le rassura. Avant de procéder à la suite des opérations, que tout mouvement imprévu du patient, mut par la douleur, rendrait difficile, le moine s'enquit de l'efficacité de son onguent sur la douleur en regardant le visage de son patient.

Ce dernier, le tissu entre les dents, ne pouvait évidemment pas parler, mais la moue qu'il pouvait faire était très indicative...
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[1] Guy de CHAULIAC, Grande chirurgie, Les instruments du chirurgien, p. 9.
[2] Ou Tetrapharmacon, car composé de quatre drogues : de la poix noire, de la résine et de la cire, du suif de vache et de l'huile (Guy de CHAULIAC, Grande chirurgie, Antidotaire, p. 626).

Ensuite, le moine nettoya la plaie en appliquant sur la plaie l'onguent des apôtres, ainsi nommé car il est composé de douze drogues [1].

Il convenait maintenant d'arrêter faible flux de sang qui s'écoulait de la plaie. Il procéda à sa ligature : il prit ses pincettes, saisit le vaisseau sanguin incriminé et l'entoura d'un fil de soie et en le liant fortement.

- « C'est le moment de l'alcool ! Cela va être douloureux... »

Il sortit de son cabas une outre. Il l'ouvrit, imbiba la plaie de vin rouge et essuya avec un tissu.
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[1] L'onguent des apôtres est composé de cire blanche, de résine, d'ammoniac, d'opopanax, de vert-de-gris, d'aristoloches ronde, d'encens, de myrrhe, de galban, de bdellion, de litharge et d'huile d'olive (Guy de CHAULIAC, Grande chirurgie, Mondificatifs, p. 617).

Puis vieil homme enduisit la plaie d'un incarnatif, l'onguent doré [1].

Enfin, il apposa sur la plaie une étoupe de lin baignée de vin et entoura la hanche d'un bandage maintenant l'étoupe et les onguents contre la plaie.

- « Vous garderez cela tout ce jour. Je repasserai plusieurs fois dans la journée vérifier l'évolution de la plaie. Si l'évolution est satisfaisante, je procèderai à la couture de la plaie. »
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[1] Onguent couleur or, composé de cire, de résine, de térébenthine, de miel, de mastic, d'encens, de sarcocolle, de myrrhe, d'aloès et de safran (Guy de CHAULIAC, Grande chirurgie, Antidotaire, p. 626).

Ca avait d'abord été la chaleur qu'il avait senti, recouvrant peu à peu son flanc meurtri. Et comme s'il n'avait suffi que de cela, la douleur s'éloigna peu à peu. Oh, elle ne disparaissait pas pour autant, mais elle se faisait plus supportable. "PesteDeos, si j'avais su ça avant, j'me s'rais collé à une bonne flambée" pensa le garçon, bien ignare de la chose de médecine. Mais il avait tout de même, un temps, moins imprimé le délicat motif de ses dents sur le morceau de tissu. On opine du chef une fois, deux fois, puis on attend la suite. Parce qu'à voir le visage du moine, on n'avait pas encore fini de rire.

- Nan mais oooOOOOOOOOH!

On a beau se la jouer caïd des lices à joute, à douze ans, on n'est guère préparé à résister au bombardement d'alcool. Surtout pas quand à la place de rejoindre la gorge il ne venait noyer une belle plaie ouverte. Et la machoire de mordre plus fort encore dans (ce qui reste de ce qui fut un jour) le morceau de tissu. Il fermait les yeux presque aussi fort qu'il serrait les dents. Au point de faire naître larmes sur larmes. Saloperie de glandes lacrymales, on vous a jamais appris à pas bouger? Et dire qu'y en a qui aime ça, se tapper d'sus à coups d'épée. 'Z'ont pas tous les maïs dans l'même épi, j'vous jure.

"Il en a pas bientôt fini le cureton?" Non, parce que là, s'il pouvait décidé d'un arrêt de travail spontané, pour une fois dans sa vie, l'aristocrate que deviendrait le bâtard de Chauconin n'aurait rien à redire aux revendications sociales. Donc, quand on l'avait libéré de son supplice, il tenta un bien faible: "D'accord. Merci. Au revoir" avant de s'écrouler dans sa couche. Car si ce n'est le sommeil, qui donc pourrait lui rendre l'attente supportable?

Comme prévu, le moine vint par deux fois s'enquérir de l'état de la plaie. A chaque fois, réveillait le jeune homme, lui défaisait et refaisait le bandage. Et, fort heureusement, l'état de la plaie s'améliorait. A sa troisième visite, dans la soirée, il lui dit :

- « Et bien, votre blessure se rétablit tout doucement. Je vais pouvoir maintenant couturer la plaie. Mais avant cela, je vais préparer votre plaie. »

Sans plus de précautions orales, il s'attela à la tâche. Il retira délicatement le bandage de la plaie. Puis, pour durcir la plaie et faciliter la couture, il appliqua l'onguent blanc [1].

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[1] Onguent composé de céruse, de litharge, d'huile de rosat, de l'eau de rose et de l'huile d'olive (Guy de CHAULIAC, Grande chirurgie, Cicatrisatifs, p. 629).

Enfin, il procéda à la couture de la plaie [1]. Il attacha un fil de soie à l'aiguille. Il fit entrer l'aiguille par une des lèvres de la plaie, passa par dedans en poignant l'autre lèvre, qu'il perça, puis il fit un nœud sur la plaie. Le premier point était fait. Au point suivant, il fit pénétrer l'aiguille par une lèvre, la perça, rentra par l'autre lèvre et faisant un deuxième nœud à l'extérieur de la plaie. Il fit de même avec les autres points jusqu'à recoudre toute la plaie.

Ainsi cousue, il pratiqua le bandage de la plaie [2]. Il déroula une longue et large bande de tissu. Il apposa ladite bande en commençant du côté opposé à la plaie, puis la mena en roulant les deux bouts en croix, sur la plaie, faisant autant de tours que nécessaire. Enfin, les deux bouts furent cousus sur la bande, par devant, loin de la plaie : un au niveau des épaules, l'autre au dessous de la cuisse.

Le moine, satisfait de son œuvre, dit :

- « Voilà, c'est fini ! Pouvez-vous vous relever, sans trop de mal ? »
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[1] Guy de CHAULIAC, Grande chirurgie, Plaies du ventre, p. 283.
[2] Guy de CHAULIAC, Grande chirurgie, Plaies, p. 278.

Il avait du serrer les dents plus d'une fois, quand l'autre jouait à je te couds, tu me couds par l'aiguillette. Sans qu'on lui demande son avis, en plus. Pour sûr qu'il aurait encore essayé de négocier du vin. Parce que même si le religieux semblait opposé à l'alcoophilie des plus jeunes, ce n'était pas pour autant qu'il ferait changer d'avis le Nain. On l'avait surnommé "tiêce di bwé", là-bas, au nord. Car ce jour là, au nord, c'étaient les cors, on faisait donner chasse sur les terres du vicomte. Et le bâtard n'avait rien trouvé de mieux que de se planquer dans un arbre histoire d'être aux premières loges. Qui avaient failli lui coûter cher quand une flèche était venue se ficher à une pousse de sa caboche. Ben il avait même pas admis avoir eu tort. Et la correction reçue n'avait rien changé à l'affaire...

Puis on avait entrepris de le déguiser en momie - quoiqu'il ignorasse encore ce qu'était une momie - et il s'était retrouvé presque plus comprimé que dans un pourpoint de bal. 'Fin au moins on avait fini de jouer avec lui. Et quand il entendit: Voilà, c'est fini ! Pouvez-vous vous relever, sans trop de mal ? ni une ni deux il se redressa d'un coup.

-Si fait. Sourire pepsodent qui masque à moitié, voire moins, qu'en fait il serait mieux dans le giron d'une nourrice, mais au moins pouvait-il se mouvoir. Plus ou moins.

"Il y a dans la bourse que vous verrez près du ratelier quelque richesse. Je fais confiance à votre science et sagesse pour n'en prélever que ce que vous jugerez juste. Pour votre oeuvre. Ou pour les pauvres de votre paroisse".

Puis une voix se fit entendre. Toujours la même, toujours si reconnaissable. Et le sourire de circonstance s'effaça pour faire place à celui de joie et de plaisir. Sa soeur était déjà là. La première, comme de juste.

"Oc, Linheta. Je ne crois guère que notre Créateur ait jugé bon de déjà s'encombrer de ma présence là-haut". Jactance? Oui, certainement. Mâtinée d'un peu de blasphème, pour faire bonne mesure. "Mais entre donc, à moins que ma dame ne me tienne rigueur de ma défaite".

Acquiesçant aux dires du curé multi-usage, le bâtard reporta son attention sur sa soeur qui venait de faire son entrée. Mais alors qu'il s'apprêtait à lui répondre, la voici qui s'approchait de lui, laissant tout en suspens. Comme s'il n'eut fallu l'interrompre pour rien au monde, il la laissait faire, maîtresse de l'espace et du temps. Et même s'il avait su qu'elle allait s'employer à le serrer contre elle, l'en aurait-il empêché? Sentir ce petit bout de vie collé à lui était - dans l'innocence presque totale de sa jeunesse parvenait-il à voir derrière le masque des convenances dont se paraît si énergiquement la petite fleur de lin ? - un bonheur indicible. Être adopté par elle, comme il le fut par le chevalier des Pyrénées puis par l'héritier d'Alanha, avait fait de l'illégitime un véritable membre de la mesnie de Sìarr. Aussi en profitait-il sans retenue aucune, certain d'avoir trouvé sa place en ce monde.

Respirant à grandes bouffées la chevelure de sa soeur, il souriait en l'écoutant.

-Enfin petite fille, comment pourrais-tu les quitter? Avec ou sans cette blessure tu restes ma soeur en mon coeur et nul ne viendra te chasser de mon esprit.

Puis, parce que même à ceux qui partagent son sang il ne sait rester à se livrer, devenu plus badin, d'une voix un peu plus forte: "Et trois semaines, qu'est-ce quand j'ai la plus puissante des magies pour me guérir? Parez-vous Sans nom et impie, le blond chevalier arrive et il ne craint rien. Sa soeur le couvre de sa présence et toujours le guérira!"

Oui, bon, quant à savoir si c'est en comprimant ses chairs qu'elle lui apportera sauvegarde, on va poliment s'abstenir de répondre...

Et admettre défaillir? Devant un membre de sa famille? Devant sa soeur? Devant peut-être même plus que ça. C'était pas dans les options? Foutrediable!!! Car oui, mes bons messieurs-dames, la fierté chez un Chauconin, 'fin à tout le moins chez Guillaume, car les autres nourissaient les vers champenois déjà depuis plusieurs années quand le chevalier-baron et la servante jouèrent à réchauffer les baquets, et donc, c'est pas comme s'il avait pu les rencontrer. Soit. Nous dirons donc que le bâtard compensait en devoir de paraître ses lacunes en être. Être c'est paraître disait le poète. Et il entendait bien lui donner raison.

- Oh que oui, elle va craindre pour ta vertu, et je m'en devrais aller rosser les culs-terreux bretons qui se seraient emparés de toi. Puis te secourir d'une tour gardée par un dragon. Ne sait-elle donc point que moi présent tu ne crains rien?

Erreur fatale le dressé de torse. Re-traction sur la plaie, re-refroidissement des chairs, et re-grimace. Mais avec un peu de chance, personne n'aurait rien vu. Tassement discret du dos, sourire qui se veut rassurant et on enchaîne: "Mais allons-y. Père ne doit-il pas encore jouter? Il me tarde de le voir dans son armure brillante, pareil à Godefroy qui libéra la terre sainte et à Bertrand qui navra l'Anglais de son épée fleurdelysée."